Hallowed Ground

Violent Femmes

HALLOWED GROUND

Voilà un miracle de petit trio dont le cas mérite absolument d’être (ré)examiné. La réédition de leur premier album (accompagné de moult titres live et bonus divers) est une bonne occasion de reparler d’eux.
1982, Milwaukee : un trio composé de Gordon Gano (guitare, chant), Brian Richie (basse) et Victor DeLorenzo (batterie) se produit dans les rues, s’attirant petit à petit un public gagné à sa cause, et finit par signer chez Slash Records. Pourtant la musique produite ne ressemble pas à grand chose de connu. Ils se réclament du Velvet Underground, des Modern Lovers ou même des Sex Pistols, mais la seule parenté qu’on peut bien leur reconnaître avec ces groupes, c’est une énergie juvénile et débordante.

Sur le premier album, sorti en 1983, ce qui marque, c’est une musique très fruste, et des vocaux parfois approximatifs. Cela peut surprendre dans un premier temps, mais c’est finalement secondaire car ces faiblesses présumées sont finalement une force : cela permet toutes les libertés, et colle tout à fait avec l’enthousiasme que veulent communiquer les trois compères. Les compositions sont excellentes, et on sent que ce groupe peut aller loin, très loin, pour peu qu’ils s’en donnent la peine. Et les espoirs générés par ce premier album se concrétisent l’année suivante avec Hallowed Ground. La musique prend de l’ampleur, est plus maitrisée, plus variée.

Le premier album était une suite de compositions toutes traitées de façon similaire, ce qui donnait une cohérence et a fixé le son Violent Femmes. Une écoute rapide de Hallowed Ground donnera par comparaison une impression de variété étonnante entre ces neuf titres. Il faut dire qu’au trio initial s’est adjoint nombre d’instrumentistes divers (banjo, orgue, saxo, clarinette). Mais, qu’ils s’essaient à la country (Country Death Song, qui ne déparerait pas sur un album de 16 Horsepower), à des ballades mélancoliques (I know it’s true but i’m sorry) ou à un titre presque bluegrass (jesus walking on the water), la voix moqueuse et détachée, et ce jeu de basse si particulier, sont leur marque de fabrique et rappellent à chaque instant qu’on écoute bien un disque de Violent Femmes.

Attention, si Hallowed Ground paraît moins amateur que le précédent album, l’envie et l’énergie sont toujours présentes, et ça s’entend sur des titres comme Country Death Song ou Black Girls qui menacent parfois de sombrer dans la folie. La meilleure chanson de l’album est, finalement, celle qui aurait le plus pu figurer sur le premier album : Never Tell. La chanson résume en 7 minutes tout ce qu’est véritablement Violent Femmes. Chaque note de basse est comme une bulle qui éclate à la surface d’une eau ténébreuse, la voix de Gordon Gano planant au dessus de ce cloaque, fielleuse et possédée, tel un vent plein de miasmes. Ce bel ensemble est à peine troublé par la batterie de Victor Delorenzo, qui sonne sec comme des brindilles de fagots brisées hargneusement. La basse est l’instrument principal : omniprésente, aucune chanson n’échappe à son emprise. Même en plein solo de guitare, on n’entend qu’elle, goguenarde.

Comme le veut l’adage, le groupe continuera à sortir des albums, par intermittence, mais jamais ils ne réussiront à retrouver le rock direct et spontané si efficace des débuts. Au final, il reste deux albums parfaits : datant du début d’une décennie considérée comme maudite pour le rock, il n’ont pas pris une ride car Violent Femmes n’a jamais voulu ressembler à quiconque. C’est là leur ressemblance avec le Velvet Underground : ils ont désiré d’abord faire leur petite tambouille maison, à leur manière, sans s’occuper du reste. La parfaite attitude rock’n’roll.

 

  Jim Bee