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When the law break in (Guns of Brixton) |
Le 22 décembre 2002 au matin, la nouvelle est tombée sur les ondes : Joe Strummer vient de mourir d'une crise cardiaque, à tout juste 50 ans, quelques mois à peine après Joey Ramone et son pseudo-frangin Dee Dee. Sale temps pour les pionniers du punk rock ! Mais peut-être le nom de Joe Strummer ne vous évoque pas grand chose. Et si je vous cite THE CLASH ? Ou bien London Calling, Should I stay or should I go, Rock the Casbah, This is Radio Clash, Train in Vain, White Riot, The Magnificient Seven… Tant de tubes pour une groupe à l’existence aussi courte (la bonne période des Clash couvre 4 ans, tout comme les Pixies).
On dit que les Clash forment un des grands groupes punks de référence. C’est vrai, mais ce serait leur faire injure de les réduire simplement à une figure de proue d’un mouvement quasi mort-né. Car le punk n’a pas duré tellement longtemps, et beaucoup de groupes ont disparus au champ d’honneur dans une bataille perdue d’avance, n’ayant pas réussi à se renouveler. Pas les Clash ! Il suffit pour s’en rendre compte d’écouter une seule fois LONDON CALLING, dont la richesse foisonnante l’éloigne des références que sont le NEVER MIND THE BOLLOCKS des SEX PISTOLS ou bien le ROCKET TO RUSSIA des RAMONES. Et pourtant…
Angleterre, années 70. Les conservateurs sont au pouvoir, et le pays, secoué par des spasmes de révoltes sociales, connaît un climat explosif ponctué d’émeutes populaires, terreau idéal pour l’émergence du mouvement punk. John Graham Mellor joue alors dans un groupe, les 101ers (c’est l’adresse de leur squat), sous le pseudonyme de John Woody, en hommage à Woody Guthrie, le parrain du mouvement folk-rock. Pendant ce temps, au cours d’une audition, Paul Simonon rencontre Mick Jones et Bernie Rhodes. Comme il a une bonne dégaine, il est engagé comme bassiste, même s’il ne sait jouer d’aucun instrument. Arrivent ensuite un autre guitariste, Keith Levene, et un batteur, Terry Chimes. Leur premier album à peine paru, les 101ers jouent en avril 1976 avec en première partie un nouveau groupe, les Sex Pistols. Dans le public, Jones, Levene et Simonon sont présents. Ils trouvent le groupe assez médiocre, mais leur chanteur les impressionne. Il est donc logiquement recruté en juin 1976 par un Bernie Rhodes, dont le but est de devenir le nouveau Malcolm McLaren (le producteur des Sex Pistols pour ceux qui l’ignorent).
Les Clash tournent alors beaucoup,
notamment avec les Sex Pistols, les Buzzcocks, Stinky Toys, Damned, les Heartbreakers
et Siouxsie and the Banshes, auxquels ils refuseront de prêter leur
matériel, Siouxsie Sioux arborant sur scène une croix gammée.
Ils feront également quelques séjours en taule, notamment pour
vandalisme. En effet, le 30 août 1976, Joe, Paul et Bernie participent
joyeusement à la fameuse émeute du carnaval antillais de Notting
Hill. Les Clash signent en décembre 1976 un contrat avec CBS, qu’ils
regretteront amèrement par la suite. Ainsi le 18 mars 1977 paraît
leur premier single, White Riot/1977, et le 8 avril 1977 leur premier album.
The
CLASH (1977) |
Et quel album ! Sobrement intitulé
THE CLASH, cet opus de 14 brûlots incendiaires enregistré en
à peine 3 week-ends est un condensé de rage brute, de violence
contestataire éructée par un Strummer colérique à
la gueule d’une société britannique en ébullition.
La plupart des titres ont été composés en une heure,
voire moins. Le son y est à l’image du groupe, brutal et immédiat,
réalisé dans l’urgence de l’instant, à tel
point que CBS a refusé de le sortir aux USA, jugeant ce même
son « digne d’une boîte de conserve ». Malgré
cela, il y battra les records d’import (100 000 exactement) avant de
paraître, mais remanié de façon chaotique, au grand dam
du groupe.
Parmi les 14 titres, on peut citer entre autres certaines merveilles telles
que White Riot, Carrer Opportunities, I’m so bored
with the USA, Complete Control, ou bien la reprise en version
reggae du Police and Thieves de Lee Perry, véritable calme
au milieu de la tempête dévastatrice de cet album.
Le 13 mai 1977, CBS sort le single Remote Control/London’s Burning, sans leur demander leur avis. Ils réagissent en sortant eux même le 23 septembre un single en forme de pied-de-nez, Complete Control/City of the Dead. Les relations tendues entre les Clash et CBS ne font que commencer…
Exit Chimes et Levene (ce dernier rejoindra le PUBLIC IMAGE LIMITED de Johnny "Rotten" Lyndon et Jah Wobble), les Clash recrutent un nouveau batteur, Nick "Topper" Headon, qui deviendra rapidement la véritable assise rythmique du groupe. A peine arrivé, il réussi à faire la Une des journaux à scandale, en compagnie de Paul, pour avoir abattu des pigeons voyageurs avec des fusils à plomb. Cet mésaventure n’empêche pas le groupe de continuer son cycle de concert, participant entre autres au fameux « Rock against Racism » ou au concert de soutien à Sid Vicious, bassiste des Sex Pistols, emprisonné pour avoir tué sa petite amie, Nancy. Quant à Bernie, il est tout simplement viré le 21 octobre 1978.
Pour la sortie de leur 2ème
album en novembre 1978, les Clash font appel à Sandy Pearlman, producteur
émérite du groupe de heavy-metal américain BLUE ÖYSTER
CULT.
GIVE’EM
ENOUGH ROPE (1978) |
Cet album est réputé
comme étant leur plus faible (opinion qu’on peut ne pas partager,
surtout si on le compare à Combat Rock). Mais peut-on vraiment parler
de faiblesse quand on retrouve dans un seul disque des morceaux comme English
Civil War, Tommy Gun ou Stay Free. Cela dit, le son,
plus clean, fait perdre au son Clash la sincérité appréciable
de leur premier album. Il leur ouvrira somme toute les portes d’une
tournée aux USA, où ils se permettront de jouer en clôture
de chaque concert leur I’m so bored with the USA.
En tout cas, cet album est
la pierre tombale du mouvement punk, un des derniers vestiges du genre. 2
directions possibles s'offrent aux Clash : évoluer, ou disparaître.
Ils choisiront la première.
LONDON
CALLING (1979) |
C’est ainsi qu’en
décembre 1979, le monde du rock, en plein bouleversement, voit arriver
celui qui sera élu meilleur album des années 80 (véridique)
: LONDON CALLING, produit par Guy Stevens (le producteur de Mott the Hoople,
considéré comme le Phil Spector britannique).
Première remarque : Joe Strummer et ses potes ont été
assez gonflés pour, en pleine transition, oser sortir un double album.
Deuxième remarque : Joe Strummer et ses potes ont été
assez intelligents pour faire de LONDON CALLING la synthèse de nombreux
genres musicaux de l’époque, établis ou émergents.
Car le point fort de LONDON CALLING, c’est sa richesse. Topper et sa
technique plutôt jazzy a ouvert ses camarades vers d’autres musiques,
notamment le reggae, dont Paul est très friand.
Les classiques du rock engagé y sont tout de même présents
: London Calling (chanson entonnant un vibrant appel à la
révolte), Spanish Bombs et Guns of Brixton (qui,
sur un Rythm & Blues, annonce les prémices du rap). On y trouve
également du reggae (Revolution Rock), du rockabilly (via
la reprise du Brand New Cadillac de Vince Taylor), du ska (Rudy
can’t fail), de la pop (Lost in the supermarket, Clampdown,
Train in vain), du truc-pas-vraiment-identifié (Wrong’em
Boyo, Jimmy Jazz), tous ses styles se mettant au service du
rock, non pas dans une simple fusion, mais dans une intégration avec
un grand I, une alchimie permettant l’éclosion de 19 purs joyaux.
Rarement un groupe n’a su unifier en un disque une telle diversité,
une telle richesse musicale. Tout y est excellent, de la sublime voix étranglée
de Joe Strummer aux accompagnements instrumentaux de ses compères.
Même la pochette, référence à un album d’Elvis
et montrant Paul Simonon en train de fracasser sa basse, est digne d’anthologie.
Tout ceci fait de LONDON CALLING un monument, un phare éclairant des
années à venir plutôt sombres, le monolithe noir du rock.
Synthèse parfaite de son époque, il se révèle
indispensable dans toute bonne discothèque digne de ce nom.
En tout cas, les ventes suivent, puisqu’en 6 mois, 200 000 exemplaires sont vendus aux USA, 180 000 en Angleterre et 100 000 en France. Ils effectuent alors de nombreux concerts en Europe et en Amérique du Nord, et passent pour la première fois à la TV américaine.
Après un tel coup d’éclat, on est en droit de penser que tout ce qui paraîtra estampillé Clash souffrira de la comparaison. C’est bien mal les connaître. Car après le double album, ce n’est pas moins qu’un triple album qui voit le jour en décembre 1980.
SANDINISTA
(1980) |
Cet album est un patchwork de tous les genres possibles et imaginables (rock, disco, reggae, country…). Il comporte également une approche de l’expérimental (il n’y a qu’à écouter le 3ème disque pour s’en rendre compte) et une collection de tubes, dont le fameux Magnificent Seven. SANDINISTA aurait été le meilleur album des Clash s’il avait été concaténé en un seul album, mais par sa dimension, son côté inabouti, débordant, foisonnant, il a servi de vivier à défaut de référence. En tout cas, tout comme LONDON CALLING, il est vendu à prix cassé, les Clash renonçant aux royalties sur les 200 000 premiers exemplaires vendus.
Le fait de sortir un triple
album n’est pas innocent. En effet, dans le contrat qu’ils ont
signé avec CBS pour 100 000 £ (ce qui reste un des meilleurs
coups réalisé par une major), la clause numéro 95 alinéa
B lie les Clash non pas pour 5 albums, mais pour 10. Ainsi, après les
deux premiers simples et le double, les Clash pensent ne devoir qu’un
seul album pour recouvrer leur liberté, rejoindre le mouvement émergent
des labels indépendants et participer à l’éclosion
d’une nouvelle scène musicale nourrie des leçons de leurs
aînés. Dans cette optique, les Clash ont commencé à
composer quelques singles, ce qui va à l’encontre de la politique
de Mo Obersten, big boss de CBS à Londres, qui s’oppose ainsi
à la sortie de Bankrobber. De rage, les Clash ont changé
leur projet et décident de sortir ce triple album.
En tout cas, leur album suivant, un simple ce coup-ci, va être leur
chant du cygne.
COMBAT
ROCK (1982) |
Dernier véritable opus, paru en mai 1982, COMBAT ROCK n’est certes pas leur meilleur album, mais il est certainement un des plus connus, ne serait-ce que par les deux tubes multidiffusés qu’il contient : Should I stay or should I go et Rock the Casbah. On y trouve également de très bons morceaux, tels que Straight to Hell, mais l’alchimie qui lie le groupe semble être évaporée. Cet album reste néanmoins un de leur plus gros succès, devenant meilleur vente US, le single signé Mick Jones Should I stay or should I go entrant même dans le Top 10 US. Ils enchaînent avec la première partie de la tournée d’adieu des Who, ce qui a contribué à leur succès aux Etats-Unis.
Devenu plus commerciaux, les
Clash commencent à être montré du doigt, car ils commencent
à monnayer leurs participations et commencent même à engranger
des bénéfices. Rien ne semble plus aller. En 1983, une tournée
anglaise est annulée suite à une fuite de Joe à Paris.
Ensuite c’est Topper qui se retrouve renvoyé du groupe, ne pouvant
arriver à décrocher de l’héroïne (renvoi dont
Joe culpabilisera tout le reste de sa vie). Et enfin, c’est un Mick
Jones devenu insupportable qui est à son tour viré par Joe et
Bernie, revenu aux manettes.
Les Clash, désormais axés autour de Joe et Paul, tentent de
survivre tant bien que mal, et sortent en novembre 1985 l’album CUT
THE CRAP, raté médiatique et public, album assez médiocre,
mis à part le titre This is England.
Et c’est ainsi fort logiquement que le groupe se dissout en 1986. «
Nous serions sans doutes devenus très riches, mais aussi très
probablement une bande de sales trous du cul (…) Nous avons donc bien
fait d’exploser en plein vol » (Joe Strummer). Contrairement à
un grand nombre de groupes, jamais les Clash n’ont cédé
aux sirènes de la reformation, y compris en 2002 lors de leur intronisation
dans le Rock’N’Roll Hall of Fame.
JOE |
MICK |
PAUL |
TOPPER |
Joe Strummer s’est ensuite
lancé dans une carrière solo, avec un style plus latino, et
ouvert aux sonorités électroniques et accoustiques. Il tourne
également avec les Pogues, et apparaît dans quelques films, tels
que Mystery Train de Jim Jarmush et J’ai engagé un tueur d’Aki
Kaurismaki, ainsi que dans la série animée South Park. Il fonde
son groupe, Joe Strummer and the Mescalleros, avec lequel il sortira 2 albums,
dont un très récemment, quasiment à titre posthume
Mick Jones a continué au sein du groupe qu'il a fondé : BIG
AUDIO DYNAMITE, où il a pu explorer les éléments de hip-hop
qu'il n'a pu intégrer au sein des Clash. Il est par la suite devenu
le producteur attitré du fameux groupe britannique THE LIBERTINES.
Cependant on considère
(à juste titre?) qu'il a trahi l’esprit des Clash en vendant
les droits de Should I stay or should I go pour une pub Levi’s.
Paul Simonon a quant à lui repris sa première vraie passion artistique, la peinture. Ce qui ne l’a pas empêché de jouer avec Bob Dylan en 1988 sur l’album DOWN IN THE GROOVE avant de sortir son seul et unique album solo sous le pseudo d’Havana 3 AM.
Topper Headon a eu un parcours asse chaotique. Il a participé à quelques projets musicaux (dont le groupe Visiteurs avec Louis Bertignac et Corinne Mariennaud), il est allé faire quelques séjours à l’ombre, il est devenu chauffeur de taxi. En tout cas, il n’a jamais réussi à décrocher des drogues (malgré l’aide répétée de Joe)
Le 15 novembre 2002, Mick Jones et Joe Strummer, qui n’aime décidément pas rester fâché avec qui que ce soit, se sont réconciliés et ont monté ensemble sur scène pour un concert improvisé en soutien à la grève des pompiers britanniques. Ce sera la dernière apparition publique de Joe.
Pour compléter la discographie des clash, on peut citer leur album live (paru il y a quelques années), FROM HERE TO ETERNITY, retraçant quelques instants des Clash sur scène de 1978 à 1982 (donnant une bonne idée de l’étendue et de la richesse de leur répertoire). Quelques compilations sont également parus, la plus riche étant CLASH ON BROADWAY, qui contient quelques inédits. Quant à ceux qui ne peuvent se contenter des albums, SUPER BLACK MARKET CLASH est un très intéressant regroupement de leurs faces B.
Vous l’aurez compris, la grande force des Clash a été de savoir prendre à temps le virage de la fin des années 70, d’entamer leur "Revolution Rock" en jetant à la face du monde cette bouée de sauvetage, LONDON CALLING, que beaucoup d’artistes auraient mieux fait de saisir à pleine main au lieu de sombrer dans la médiocrité.
ZeRipper |